Société
Sexiste, le doctorat?
[Julien Laliberté]
Mis en ligne le 11 avril 2014, publication : Volume 3, numéro 6
Lors de l'atelier-conférence de Boréas intitulé « La différence des genres en sciences, qu’en est-il vraiment? », la question de l'équité entre les sexes dans les avenues qui s'offrent à une doctorante ou un doctorant a été soulevée. S'appuyant sur trois constats, cet article a pour objectif de démontrer qu'elle n’est pas trouvée systématiquement.
Les programmes de troisième cycle universitaire ont connu dans la dernière décennie une hausse de leurs inscriptions. Les statistiques le démontrent, le doctorat attire de plus en plus d'étudiantes et d'étudiants. Les motivations qui les poussent à s'y inscrire sont majoritairement reliées à des aspects professionnels et financiers qui mènent vers une bonne qualité de vie. À première vue, il y a de belles perspectives d'emploi universitaire vu les nombreux départs à la retraite des professeurs les plus âgés, d’autant plus que les fonds provinciaux et fédéraux de recherche accrus offrent de belles opportunités aux jeunes chercheurs. Il ne faut également pas oublier la notoriété qui accompagne l'obtention de ce prestigieux diplôme universitaire. Pourtant, la réalité est souvent autre, notamment pour les femmes. Voyons ce qu’il en est réellement.
En premier lieu, les étudiantes et étudiants accèdent de plus en plus tôt aux études de troisième cycle. Depuis les dix dernières années, une étude de Statistique Canada montre que le nombre d'inscriptions de jeunes adultes dans la tranche d'âge de 25 à 29 ans en Ontario a augmenté de 50%. La situation suit la même tendance au Québec et dans les autres provinces du Canada. C'est également pour cette tranche d'âge que le nombre de grossesses est le plus élevé[1]. Pour appuyer ce bilan, il est possible de remarquer que la deuxième tranche d'âge la plus représentée quant au nombre d'inscriptions au doctorat correspond également à la deuxième tranche d’âge la plus représentée quant aux grossesses, c'est-à-dire de 30 à 34 ans. Ce constat justifie un nombre plus élevé d'hommes aux études doctorales. D'ailleurs, il est intéressant de noter que les femmes sont plus nombreuses que les hommes au baccalauréat (60% de femmes), mais que cette répartition est renversée au doctorat (47% de femmes). Cela dit, ces dernières années sont marquées par une tendance vers la parité du nombre d'inscriptions au doctorat. Peut-être est-ce dû aux nouvelles politiques gouvernementales de congés parentaux? Certes, en raison de ce qui précède, même si les femmes sont davantage représentées à l'Université, elles ne le sont pas au niveau des études doctorales, ce qui laisse penser qu'elles quittent plus souvent le milieu universitaire pour fonder une famille.
En deuxième lieu, abordons le constat selon lequel les trajectoires professionnelles sont tracées par l'effet des stéréotypes sociaux. Les femmes sont plus enclines à entreprendre des études dans un domaine stigmatisé du genre féminin, comme, par exemple, l’éducation. Ces domaines d’études renvoient à des métiers relevant initialement de la sphère domestique et qui n'ont pas été asexués par la salarisation et la professionnalisation. Hors, il est possible de remarquer que les domaines plutôt «féminins» sont ceux qui reçoivent le moins de subventions de recherche.
[1] http://www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l02/cst01/hlth65a-fra.htm
Par ailleurs, bien qu'il ne semble pas y avoir d'inégalités salariales significatives pour les professeurs d'université d'un domaine à l'autre, il y a une différence significative entre le financement moyen obtenu pour les hommes et les femmes de la part des organismes subventionnaires fédéraux et provinciaux, laissant encore une fois les femmes au second rang. De plus, les critères de rendement salarial dans l'enseignement sont relatifs à l'année d'obtention du poste et le nombre de publications. Ainsi, si une femme retarde le moment où elle entame sa carrière pour une grossesse ou un congé de maternité, elle est pénalisée sur ces deux critères, de quoi découle également une progression salariale plus lente. Ainsi, la compétition dans ce milieu est forte et les critères de succès sont axés sur une vie dédiée à l'engagement scientifique sans considération pour la vie familiale. C'est probablement ce qui explique que la proportion de femmes qui accèdent aux postes de professeurs permanents ou menant à la permanence demeure largement minoritaire.
En troisième lieu, la rémunération associée au doctorat présente un gain supérieur pour les hommes que pour les femmes. Cette tendance, généralisée à tous les niveaux d'éducation, n'est aucunement atténuée par la prime salariale découlant d'un diplôme de troisième cycle, même si le doctorat apporte un avantage salarial dans presque tous les domaines (Statistique Canada, 2006). La figure 2 ne montre pas les avenues concernant les post-doctorats. Une étude met en lumière que « le principal élément à l’origine de l’insatisfaction au travail dans les facultés des sciences et de l’ingénierie est l’atmosphère au sein des départements des unes et des autres, laquelle s’avère avoir un effet disproportionné sur la décision des femmes d’abandonner leur carrière de professeure ». Les post-doctorantes dans ces domaines pourraient ainsi justifier leur choix de continuer leurs études, ce qui aurait comme effet de maintenir la différence entre la rémunération des hommes et des femmes titulaires d'un doctorat, étant donné que pour une doctorante ou un doctorant, les bourses du CRSH, CRSNG ou de l'IRSC vont de 38 500$ à 60 000$ alors que le salaire moyen d'un professeur d'université est de 85 500 $ en Ontario.
En conclusion, malgré une augmentation de la proportion de doctorantes, les hommes sont majoritaires aux études de troisième cycle universitaire et ils accèdent davantage à la diplomation. Les disciplines les plus subventionnées sont également celles où il y a le plus d’hommes. Par ailleurs, peu importe le diplôme, les hommes sont davantage rémunérés que les femmes. Le doctorat n’atténue donc pas l’iniquité salariale entre les hommes et les femmes et ne mène pas vers l’équité entre les sexes. En extrapolant les tendances, l'égalité dans les avenues d'un diplôme de troisième cycle pourrait être obtenue un jour, mais il reste beaucoup d'écarts à combattre.
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Pour plus d'information sur ce sujet, on peut se référer à l'article de Vincent Larivière, Bibliometrics : Global gender disparities in science.
Les programmes de troisième cycle universitaire ont connu dans la dernière décennie une hausse de leurs inscriptions. Les statistiques le démontrent, le doctorat attire de plus en plus d'étudiantes et d'étudiants. Les motivations qui les poussent à s'y inscrire sont majoritairement reliées à des aspects professionnels et financiers qui mènent vers une bonne qualité de vie. À première vue, il y a de belles perspectives d'emploi universitaire vu les nombreux départs à la retraite des professeurs les plus âgés, d’autant plus que les fonds provinciaux et fédéraux de recherche accrus offrent de belles opportunités aux jeunes chercheurs. Il ne faut également pas oublier la notoriété qui accompagne l'obtention de ce prestigieux diplôme universitaire. Pourtant, la réalité est souvent autre, notamment pour les femmes. Voyons ce qu’il en est réellement.
En premier lieu, les étudiantes et étudiants accèdent de plus en plus tôt aux études de troisième cycle. Depuis les dix dernières années, une étude de Statistique Canada montre que le nombre d'inscriptions de jeunes adultes dans la tranche d'âge de 25 à 29 ans en Ontario a augmenté de 50%. La situation suit la même tendance au Québec et dans les autres provinces du Canada. C'est également pour cette tranche d'âge que le nombre de grossesses est le plus élevé[1]. Pour appuyer ce bilan, il est possible de remarquer que la deuxième tranche d'âge la plus représentée quant au nombre d'inscriptions au doctorat correspond également à la deuxième tranche d’âge la plus représentée quant aux grossesses, c'est-à-dire de 30 à 34 ans. Ce constat justifie un nombre plus élevé d'hommes aux études doctorales. D'ailleurs, il est intéressant de noter que les femmes sont plus nombreuses que les hommes au baccalauréat (60% de femmes), mais que cette répartition est renversée au doctorat (47% de femmes). Cela dit, ces dernières années sont marquées par une tendance vers la parité du nombre d'inscriptions au doctorat. Peut-être est-ce dû aux nouvelles politiques gouvernementales de congés parentaux? Certes, en raison de ce qui précède, même si les femmes sont davantage représentées à l'Université, elles ne le sont pas au niveau des études doctorales, ce qui laisse penser qu'elles quittent plus souvent le milieu universitaire pour fonder une famille.
En deuxième lieu, abordons le constat selon lequel les trajectoires professionnelles sont tracées par l'effet des stéréotypes sociaux. Les femmes sont plus enclines à entreprendre des études dans un domaine stigmatisé du genre féminin, comme, par exemple, l’éducation. Ces domaines d’études renvoient à des métiers relevant initialement de la sphère domestique et qui n'ont pas été asexués par la salarisation et la professionnalisation. Hors, il est possible de remarquer que les domaines plutôt «féminins» sont ceux qui reçoivent le moins de subventions de recherche.
[1] http://www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l02/cst01/hlth65a-fra.htm
Par ailleurs, bien qu'il ne semble pas y avoir d'inégalités salariales significatives pour les professeurs d'université d'un domaine à l'autre, il y a une différence significative entre le financement moyen obtenu pour les hommes et les femmes de la part des organismes subventionnaires fédéraux et provinciaux, laissant encore une fois les femmes au second rang. De plus, les critères de rendement salarial dans l'enseignement sont relatifs à l'année d'obtention du poste et le nombre de publications. Ainsi, si une femme retarde le moment où elle entame sa carrière pour une grossesse ou un congé de maternité, elle est pénalisée sur ces deux critères, de quoi découle également une progression salariale plus lente. Ainsi, la compétition dans ce milieu est forte et les critères de succès sont axés sur une vie dédiée à l'engagement scientifique sans considération pour la vie familiale. C'est probablement ce qui explique que la proportion de femmes qui accèdent aux postes de professeurs permanents ou menant à la permanence demeure largement minoritaire.
En troisième lieu, la rémunération associée au doctorat présente un gain supérieur pour les hommes que pour les femmes. Cette tendance, généralisée à tous les niveaux d'éducation, n'est aucunement atténuée par la prime salariale découlant d'un diplôme de troisième cycle, même si le doctorat apporte un avantage salarial dans presque tous les domaines (Statistique Canada, 2006). La figure 2 ne montre pas les avenues concernant les post-doctorats. Une étude met en lumière que « le principal élément à l’origine de l’insatisfaction au travail dans les facultés des sciences et de l’ingénierie est l’atmosphère au sein des départements des unes et des autres, laquelle s’avère avoir un effet disproportionné sur la décision des femmes d’abandonner leur carrière de professeure ». Les post-doctorantes dans ces domaines pourraient ainsi justifier leur choix de continuer leurs études, ce qui aurait comme effet de maintenir la différence entre la rémunération des hommes et des femmes titulaires d'un doctorat, étant donné que pour une doctorante ou un doctorant, les bourses du CRSH, CRSNG ou de l'IRSC vont de 38 500$ à 60 000$ alors que le salaire moyen d'un professeur d'université est de 85 500 $ en Ontario.
En conclusion, malgré une augmentation de la proportion de doctorantes, les hommes sont majoritaires aux études de troisième cycle universitaire et ils accèdent davantage à la diplomation. Les disciplines les plus subventionnées sont également celles où il y a le plus d’hommes. Par ailleurs, peu importe le diplôme, les hommes sont davantage rémunérés que les femmes. Le doctorat n’atténue donc pas l’iniquité salariale entre les hommes et les femmes et ne mène pas vers l’équité entre les sexes. En extrapolant les tendances, l'égalité dans les avenues d'un diplôme de troisième cycle pourrait être obtenue un jour, mais il reste beaucoup d'écarts à combattre.
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Pour plus d'information sur ce sujet, on peut se référer à l'article de Vincent Larivière, Bibliometrics : Global gender disparities in science.