Société
CROYANCES ET CULTURES D’ICI ET D’AILLEURS
Le bouddhisme
[Adeline Mantyk]
Mis en ligne le 29 novembre 2013, publication : Volume 3, numéro 3
Siddharta Gautama, plus connu sous le nom de Bouddha ou l’« Éveillé », fut un prince qui naquit au VIe siècle avant J.-C. au sein de la tribu des Shakyas. Ce clan, de la classe des kshatriya, celle des seigneurs et chefs de guerres, vivait au nord de l’Inde sur les contreforts de l’Himalaya. En quête de vérité, Siddharta renonça à sa destinée de digne successeur au trône de son clan. Devenu Bouddha, véritable pilier du bouddhisme, il est un personnage emblématique à la destinée complexe. Tout son cheminement est empreint d’un symbolisme incomparable. Chaque partie de sa vie est un enseignement, aujourd’hui encore largement dispensé, dirigé vers l’Éveil, l’épanouissement personnel, vers l’illumination. L’Éveil, Siddharta l’a connu, après des années de périples, en méditant sous un figuier nommé arbre de la Bodhi, ou arbre de la connaissance parfait. L’Éveil correspond à un état mental idéal, une atteinte de la vérité ultime, une perception claire de la réalité à laquelle aspirent tous les bouddhistes. C’est un concept un peu flou pour les Occidentaux que nous sommes, car bon nombre d’entre nous ne sommes pas familier avec les concepts de réincarnation, de circularité du temps, de mouvement éternel de la vie. Pour parvenir à cet état, suivre les enseignements et préceptes du Bouddha est nécessaire. Il s’agit d’une lourde et longue tâche qui peut s’étaler sur plusieurs vies et conduit à la délivrance du saṃsāra, ou cycle des renaissances successives. Religion, philosophie, religion philosophique, le bouddhisme supporte plusieurs appellations. Tournons-nous vers ce personnage mystérieux que fut le Bouddha.
Le Bouddha est parvenu à l’état de Nirvana sous l’arbre de la Bodhi, après un affrontement intense avec Mara, l’esprit tentateur qui tenta de l’en empêcher (photo : Peewee Gonzoid/FlickR).
Lorsque l’on parle de la vie du Bouddha, on peut la voir de deux façons : on peut parler de Siddharta Gautama en tant qu’homme, prince héritier, et retracer sa vie « terrestre » à l’aide de preuves tangibles ; ou bien, on peut évoquer l’image qu’en ont fait les récits traditionnels, notamment ceux de la Triple corbeille[1], la « légende ». Il s’agit ici de discuter de ces deux points de vue et de voir en quoi ceux-ci sont entremêlés, complémentaires, en se souvenant bien que les premiers récits sur les épisodes et les dialogues du Bouddha n’ont été écrits que près de deux siècles après sa mort et qu’avant cela ils s’étaient transmis oralement de génération en génération, par l’intermédiaire des moines, notamment. Il n’existe, en effet, aucun écrit contemporain de l’époque de Gautama, ce qui rend la tâche ardue.
Le but de tous les récits est la transmission d’une certaine vérité, alors que si l’on se place d’un point de vue historique, on cherche à reconstituer scientifiquement les faits à l’aide de preuves. Ainsi, les traditions ont souvent été élaborées pour étoffer l’histoire, pour et par ceux qui possèdent une certaine foi, ce qui peut conduire au fait qu’une part importante de ces récits soit attribuée aux miracles et aux mythes. Cependant, il existe différentes sectes ayant des conceptions différentes du bouddhisme, et ce sont ces sectes qui sont à l’origine des textes sacrés. Donc, comme le suggère Étienne Lamotte dans son article La légende du Buddha[2], les événements notoires, tels que le mariage de Siddharta, rapportés par plusieurs de ces sectes peuvent être considérés comme de nature historique.
Par exemple, considérons l’épisode des quatre rencontres, qui représente un moment charnière dans la vie de Siddharta. Le prince sort en catimini à plusieurs reprises du palais où il a été enfermé pour sa propre protection et rencontre alors un vieillard, un malade et un mort. Confronté à ces trois états de l’humanité, dont il avait été délibérément écarté depuis sa plus tendre enfance. Il décide de se mettre en quête de vérité pour délivrer les êtres de leur souffrance inéluctable. On apprend dans les textes bouddhiques que celui-ci est alors âgé de 29 ans. On sait, à la lumière des sources historiques et archéologiques, que les dates de vie et de mort du Bouddha ont été récemment corrigées, notamment la date de sa mort qui a été retardée à 400 ans avant J.-C., ce qui contredit les textes sacrés. On est également en droit de se demander pourquoi Siddharta, à 29 ans, vivant dans une époque de guerres incessantes, n’a jamais été confronté à la mort. De plus, appartenant à une famille aisée, cela suppose qu’il fut bien éduqué. Il est donc surprenant qu’il put être ignorant à propos de telles questions. Les textes traditionnels ont peut-être ici voulu rejoindre la doctrine du futur Bouddha, qui explique que la loi de causalité commence par l’ignorance, tout comme Siddharta, lui-même, commença par être ignorant durant les 29 premières années de sa vie, avant de commencer à se poser les questions qui constituent le début de son cheminement spirituel. Ce serait pour cette raison qu’il aurait fallu trouver un épisode concordant à cette pensée. Ou bien, comme le suggère Lamotte, les épisodes de la vie du Bouddha Siddharta Gautama seraient en fait tirés des vies des autres Bouddha précédents, et on se réfèrerait donc ici encore une fois à un aspect davantage légendaire du personnage.
D’autre part, concernant l’enfance du Bouddha, il est dit dans les textes sacrés que celui-ci a toujours baigné, et ce, dès sa plus tendre enfance, dans le luxe du palais de son père. Ce dernier voulait, en effet, à tout prix l’empêcher de voir le monde pour qu’il ne quitte jamais le palais. En effet, selon les prédictions des devins, Siddharta devait réaliser de grandes choses. Mais si l’on se place d’un point de vue anthropologique, il a été prouvé que la famille de Siddharta, de la tribu des Sakyas, appartenait à la caste guerrière. Ainsi, celui-ci a dû recevoir une éducation de combattant et ne devait pas être un enfant si paisible et empreint de compassion, comme le veut la tradition. On a donc l’impression que pour que le récit de sa vie aille dans le sens de son Éveil, il devait partir du palais et renoncer à sa vie oisive, faite de plaisirs, pour pouvoir avoir l’opportunité d’atteindre l’Éveil ; il ne pouvait en être autrement, et ceci est le déclic qui sert de point de départ à la « légende » du Bouddha.
En outre, déjà bien avant son Éveil, Siddharta est présenté, dans les récits traditionnels, comme un être spécial. On remarque cela dans nombreux épisodes de sa vie, où tout est paré d’exagérations. Ainsi, lorsque, exhorté par son père, il doit prendre épouse, trois palais sont érigés pour y loger 4 000 jeunes filles chacun. Puis lors du tournoi organisé pour prouver sa valeur auprès du père de sa future épouse, Yashodara, 5 000 flèches ne suffisent pas à le transpercer. Le fait de leur attribuer nombre de miracles est typique des personnages sacralisés, car bien évidemment, ceci ne tient pas la route si l’on se place du côté de l’histoire.
Considérant que le langage des récits n’est pas un langage scientifique ou factuel, on peut ici s’autoriser une réflexion sur l’utilité du langage symbolique dans l’appréhension d’une certaine historicité. Les récits traditionnels ont quelque peu transformé la réalité pour rendre compte que dans la vie du prince, rien n’a été laissé au hasard, peut-être également pour « royaliser » Gautama, pour donner au Bouddha sa vraie place, à la mesure de la grande dynastie des Maurya dont fait partir l’illustre empereur Ashoka.
Il y a toujours une part de vérité dans une légende, mais ce qu’on ne peut connaître, c’est la mesure de cette part. En effet, selon les propos tenus par Barth, repris par Lamotte : « […] rejeter (à cause de leur caractère merveilleux) toute une portion des documents, c’est mutiler le bouddhisme et le rendre, comme religion, inexplicable[3] ». Les archéologues eux-mêmes appuient leurs recherches sur certains textes sacrés pour tenter de prouver les faits. Il faut également noter que cela conduit parfois à des paradoxes, tel que le fait que les bouddhistes refusent de voir le Bouddha comme un dieu, mais qu’ils croient tout de même aux dieux de l’hindouisme, ceux qui aident le Bouddha dans sa quête, par exemple. Les bouddhistes ont donc eux-mêmes toujours vu le Bouddha comme un personnage historique, mais également comme capable de miracles, un genre de « Messie porteur de la bonne parole » qu’il faut s’efforcer de suivre pour atteindre le but ultime de toute une vie: se délivrer de la souffrance par l’atteinte du nirvāṇa.
Pour aller plus loin :
La Vie de Bouddha, reportage ARTE : http://boutique.arte.tv/f725-vie_de_bouddha
LAMOTTE, Étienne, « La légende du Buddha », dans Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 37-71.
[1] Recueil de textes fondateurs du bouddhisme theravada, qui précisent les trois entraînements permettant d’atteindre l’Éveil : méditation, discipline éthique et sagesse-connaissante, http://www.bibliotheque-dhagpo-kagyu.org/index.php/fr/ressources/dossiers/abhidharma/13-la-triple-corbeille.
[2] Étienne Lamotte, « La légende du Buddha », dans Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 37-71.
[3] Étienne Lamotte, « La légende du Buddha », p.42.
Lorsque l’on parle de la vie du Bouddha, on peut la voir de deux façons : on peut parler de Siddharta Gautama en tant qu’homme, prince héritier, et retracer sa vie « terrestre » à l’aide de preuves tangibles ; ou bien, on peut évoquer l’image qu’en ont fait les récits traditionnels, notamment ceux de la Triple corbeille[1], la « légende ». Il s’agit ici de discuter de ces deux points de vue et de voir en quoi ceux-ci sont entremêlés, complémentaires, en se souvenant bien que les premiers récits sur les épisodes et les dialogues du Bouddha n’ont été écrits que près de deux siècles après sa mort et qu’avant cela ils s’étaient transmis oralement de génération en génération, par l’intermédiaire des moines, notamment. Il n’existe, en effet, aucun écrit contemporain de l’époque de Gautama, ce qui rend la tâche ardue.
Le but de tous les récits est la transmission d’une certaine vérité, alors que si l’on se place d’un point de vue historique, on cherche à reconstituer scientifiquement les faits à l’aide de preuves. Ainsi, les traditions ont souvent été élaborées pour étoffer l’histoire, pour et par ceux qui possèdent une certaine foi, ce qui peut conduire au fait qu’une part importante de ces récits soit attribuée aux miracles et aux mythes. Cependant, il existe différentes sectes ayant des conceptions différentes du bouddhisme, et ce sont ces sectes qui sont à l’origine des textes sacrés. Donc, comme le suggère Étienne Lamotte dans son article La légende du Buddha[2], les événements notoires, tels que le mariage de Siddharta, rapportés par plusieurs de ces sectes peuvent être considérés comme de nature historique.
Par exemple, considérons l’épisode des quatre rencontres, qui représente un moment charnière dans la vie de Siddharta. Le prince sort en catimini à plusieurs reprises du palais où il a été enfermé pour sa propre protection et rencontre alors un vieillard, un malade et un mort. Confronté à ces trois états de l’humanité, dont il avait été délibérément écarté depuis sa plus tendre enfance. Il décide de se mettre en quête de vérité pour délivrer les êtres de leur souffrance inéluctable. On apprend dans les textes bouddhiques que celui-ci est alors âgé de 29 ans. On sait, à la lumière des sources historiques et archéologiques, que les dates de vie et de mort du Bouddha ont été récemment corrigées, notamment la date de sa mort qui a été retardée à 400 ans avant J.-C., ce qui contredit les textes sacrés. On est également en droit de se demander pourquoi Siddharta, à 29 ans, vivant dans une époque de guerres incessantes, n’a jamais été confronté à la mort. De plus, appartenant à une famille aisée, cela suppose qu’il fut bien éduqué. Il est donc surprenant qu’il put être ignorant à propos de telles questions. Les textes traditionnels ont peut-être ici voulu rejoindre la doctrine du futur Bouddha, qui explique que la loi de causalité commence par l’ignorance, tout comme Siddharta, lui-même, commença par être ignorant durant les 29 premières années de sa vie, avant de commencer à se poser les questions qui constituent le début de son cheminement spirituel. Ce serait pour cette raison qu’il aurait fallu trouver un épisode concordant à cette pensée. Ou bien, comme le suggère Lamotte, les épisodes de la vie du Bouddha Siddharta Gautama seraient en fait tirés des vies des autres Bouddha précédents, et on se réfèrerait donc ici encore une fois à un aspect davantage légendaire du personnage.
D’autre part, concernant l’enfance du Bouddha, il est dit dans les textes sacrés que celui-ci a toujours baigné, et ce, dès sa plus tendre enfance, dans le luxe du palais de son père. Ce dernier voulait, en effet, à tout prix l’empêcher de voir le monde pour qu’il ne quitte jamais le palais. En effet, selon les prédictions des devins, Siddharta devait réaliser de grandes choses. Mais si l’on se place d’un point de vue anthropologique, il a été prouvé que la famille de Siddharta, de la tribu des Sakyas, appartenait à la caste guerrière. Ainsi, celui-ci a dû recevoir une éducation de combattant et ne devait pas être un enfant si paisible et empreint de compassion, comme le veut la tradition. On a donc l’impression que pour que le récit de sa vie aille dans le sens de son Éveil, il devait partir du palais et renoncer à sa vie oisive, faite de plaisirs, pour pouvoir avoir l’opportunité d’atteindre l’Éveil ; il ne pouvait en être autrement, et ceci est le déclic qui sert de point de départ à la « légende » du Bouddha.
En outre, déjà bien avant son Éveil, Siddharta est présenté, dans les récits traditionnels, comme un être spécial. On remarque cela dans nombreux épisodes de sa vie, où tout est paré d’exagérations. Ainsi, lorsque, exhorté par son père, il doit prendre épouse, trois palais sont érigés pour y loger 4 000 jeunes filles chacun. Puis lors du tournoi organisé pour prouver sa valeur auprès du père de sa future épouse, Yashodara, 5 000 flèches ne suffisent pas à le transpercer. Le fait de leur attribuer nombre de miracles est typique des personnages sacralisés, car bien évidemment, ceci ne tient pas la route si l’on se place du côté de l’histoire.
Considérant que le langage des récits n’est pas un langage scientifique ou factuel, on peut ici s’autoriser une réflexion sur l’utilité du langage symbolique dans l’appréhension d’une certaine historicité. Les récits traditionnels ont quelque peu transformé la réalité pour rendre compte que dans la vie du prince, rien n’a été laissé au hasard, peut-être également pour « royaliser » Gautama, pour donner au Bouddha sa vraie place, à la mesure de la grande dynastie des Maurya dont fait partir l’illustre empereur Ashoka.
Il y a toujours une part de vérité dans une légende, mais ce qu’on ne peut connaître, c’est la mesure de cette part. En effet, selon les propos tenus par Barth, repris par Lamotte : « […] rejeter (à cause de leur caractère merveilleux) toute une portion des documents, c’est mutiler le bouddhisme et le rendre, comme religion, inexplicable[3] ». Les archéologues eux-mêmes appuient leurs recherches sur certains textes sacrés pour tenter de prouver les faits. Il faut également noter que cela conduit parfois à des paradoxes, tel que le fait que les bouddhistes refusent de voir le Bouddha comme un dieu, mais qu’ils croient tout de même aux dieux de l’hindouisme, ceux qui aident le Bouddha dans sa quête, par exemple. Les bouddhistes ont donc eux-mêmes toujours vu le Bouddha comme un personnage historique, mais également comme capable de miracles, un genre de « Messie porteur de la bonne parole » qu’il faut s’efforcer de suivre pour atteindre le but ultime de toute une vie: se délivrer de la souffrance par l’atteinte du nirvāṇa.
Pour aller plus loin :
La Vie de Bouddha, reportage ARTE : http://boutique.arte.tv/f725-vie_de_bouddha
LAMOTTE, Étienne, « La légende du Buddha », dans Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 37-71.
[1] Recueil de textes fondateurs du bouddhisme theravada, qui précisent les trois entraînements permettant d’atteindre l’Éveil : méditation, discipline éthique et sagesse-connaissante, http://www.bibliotheque-dhagpo-kagyu.org/index.php/fr/ressources/dossiers/abhidharma/13-la-triple-corbeille.
[2] Étienne Lamotte, « La légende du Buddha », dans Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 37-71.
[3] Étienne Lamotte, « La légende du Buddha », p.42.